La cuisine d’Anne-Sophie Pic, une fragrance gastronomique
Aller au restaurant n’est pas un acte anodin et ce n’est pas Anne-Sophie Pic qui dira le contraire. On se met à table en quête de plaisirs sensoriels. Au travers de sa cuisine, la seule femme trois étoiles en France souhaite toucher, transmettre des sentiments, procurer des émotions. En ce sens, la cuisinière mène un travail de réflexion sur les ingrédients afin de restituer au mieux leur essence. Dans le garde-manger on trouve des mets de luxe comme le bar ou le turbot bien sûr mais aussi et surtout des ingrédients du quotidien comme les carottes ou la betterave. La touche Anne-Sophie Pic pour charmer avec ces produits ? Composer des associations de goût comme l’on construit un parfum. C’est d’ailleurs le concept de son restaurant parisien La Dame de Pic. « Le parfum tient sur le même fil émotionnel, la même tension affective, la même fracture sensible, toutes choses que j’ai comprises dans le dialogue fructueux que j’entretiens avec Philippe Bousseton, parfumeur chez Takasago. Ensemble, nous imaginons des parfums fondés sur les accords de mes menus qui se structurent toujours autour de trois plats et un dessert, quatre variations donc autour de la première note. »
Les berlingots coulants au crémeux de chèvre de Banon légèrement fumé, consommé végétal au cresson infusé au gingembre et à la bergamote
La carotte et le whisky, fine gelée au sarrasin torréfié de Hida,crémeux de carotte au whisky millésimé
Une maturité certaine et un style très affirmé qui s’est construit avec le temps. Les assiettes se dépouillent de plus en plus mais les saveurs se complexifient. Dans une sauce, Anne-Sophie Pic aime à combiner jusqu’à cinq goûts, tous parfaitement identifiables. Les nuances sont sensuelles, le visuel raffiné et les couleurs empreintes d’une harmonie naturelle. « J’ai une façon de construire un plat qui est initié par les saveurs. Lorsque j’ai commencé en cuisine, même sans maîtrise technique, j’allais instinctivement dans cette idée d’associer les goûts entre eux. Comment ça se révèle ? Comment ça fonctionne ? Les débuts ne sont pas évidents, on tâtonne et puis à force de réflexion et de travail on obtient de si jolies choses. »
Langoustines vivantes saisies au beurre de crustacé, bouillon émulsionné à l’anis vert et à la feuille de cannelier
Le bar de ligne au caviar Alverta , comme l’aimait mon Père 1971
Le homard bleu, tomate en aigre-doux bouillon tomaté et légèrement épicé au café Bourbon Pointu de la Réunion et safran
Aujourd’hui on vient chez Pic uniquement pour elle, pour sa cuisine. La mémoire de son père n’est pas pour autant écartée. Les nostalgiques peuvent toujours se régaler d’un plat mythique : le bar de ligne au caviar, crée en 1971. Si certains le lui réclament c’est surtout pour l’un de ses plats signature que le monde entier se déplace : la betterave plurielle au café Blue Mountain. « J’utilise beaucoup le café depuis très longtemps. L’idée de réunir la betterave et le café est purement intuitive. Pour mes papilles, il était évident que ces deux saveurs marquées fonctionnent divinement ensemble. » Créatrice dans l’âme, Anne-Sophie Pic n’a de cesse de se renouveler, de chercher la nouvelle association qui fera vibrer le palais. « J’ai très envie de mener un travail sur les viandes. Ils permettent moins de fantaisie qu’un coquillage ou qu’un poisson mais c’est justement ça qui me plaît. Je travaille actuellement sur le bœuf, certainement avec du Fin Gras du Mézenc. Tout est déjà parfaitement orchestré dans ma tête : fumé au café arabica, poivre maison, cannelle et réglisse. Avec mon équipe, il nous reste quelques ajustements mais ce plat réunit tout ce que j’aime. »
Belle pomme de ris de veau rôtie au poêlon, carottes de nos producteurs à la lavande, jus perlé
Le brie de Meaux à la vanille bourbon
Le citron et la baie de genièvre, en combinaison crémeuse et mousseuse, sorbet et jus citron
La fraise Ciflorette et le saké
La suite de l’histoire ? La cuisinière a fait ses preuves, réalisés de nombreux rêves. Il lui en reste un : ouvrir une Dame de Pic en Asie. Quant au fin mot, rien n’est encore écrit. « Mon fils Nathan, est un fin gourmet. Il connaît les variétés de légumes, il veut toujours me cuisiner des choses, il a un palais déjà très affûté du haut de ses huit ans…. Jamais je ne l’obligerais à prendre les rênes de la maison. C’est une mission très lourde à porter. Devenir cuisinier ce n’est pas choisir simplement un métier, c’est dédier sa vie au bonheur des autres… »
Texte écrit pour Arts & Gastronomie l’été dernier (à lire en entier ici).
Aaah j’habite à 5 min de chez Pic! ;)
Je n’ai jamais l’honneur d’aller au restaurant mais au bistrot le 7 oui! Les produits ne sont pas aussi luxueux, mais toujours de première fraicheur et qualité, et les plats sont à la fois simples et créatifs, composant comme tu dis une « association qui fera vibrer le palais »!